Au sujet des sous-espèces du faucon pèlerin dans le bas-delta

Faucon pèlerin immature au-dessus de la plaine alluviale du fleuve Sénégal 
2013 02 17 / © Photo par Frédéric Bacuez

* Bas-delta du fleuve Sénégal -

Longtemps symbole de la raréfaction des espèces animales en Europe, le faucon pèlerin (falco peregrinus, peregrine falcon) a bénéficié à partir des années 70' de l'autre siècle - seulement 122 couples français en 1968 contre 700 aujourd'hui !- et continue de bénéficier de protections toutes particulières de la part des associations ornithologiques ainsi que des pouvoirs publics: sa (re)conquête des centres urbains, de certaines vallées fluviales et même de falaises maritimes attire régulièrement l'attention de médias - et d'un certain public, bien que plus réduit en France qu'en dehors du carré francophone, car ces choses peu sérieuses ne peuvent rivaliser avec tous les sujets ô combien moins puérils qu'on lui fait boire jusqu'à la lie, évidemment...! 
Depuis quelques années, plusieurs faucons pèlerins sont présents aux portes de la capitale française: à Porcheville, à la Défense - souvent postés sur la tour Areva..., et à Ivry-sur-Seine où un couple se reproduit depuis 2010 sur les cheminées de la Compagnie parisienne de chauffage urbain (Voir ICI). Last but not least et c'est une première, un couple s'est installé à Paris intra muros il y a quelques mois, réquisitionnant un nichoir artificiel dédié depuis 1994 aux faucons crécerelles, là aussi sur une cheminée de la CPCU des bords de Seine, dans le XVe arrondissement, donnant naissance au printemps 2013 à trois pulli qui viennent de prendre leur envol (Voir ICIICI et LA)*.

* Sources: Falco peregrinus ivryus -  LPO mission rapaces - Le Monde, 2013 05 2 

Les faucons pèlerins des latitudes tempérées, des régions méditerranéenne et africaine ne sont pas migrateurs. Seuls les sujets nordiques se déplacent loin au sud de leur aire de distribution nuptiale (tundrius et quelques anatum pour l'Amérique du nord; calidus et certains peregrinus de la Scandinavie nordique ou de l'ouest russe pour l'Europe), parfois aussi loin que l'Afrique australe !

Falco peregrinus, une répartition mondiale !...
Nota: cette carte est censée ne représenter que les zones de nidification

Au Sénégal, trois sous-espèces de peregrinus*1 peuvent être à l'occasion observées:

  • la race falco peregrinus ssp. minor, authentiquement subsaharienne, jusqu'à présent pas identifiée comme résidente au Sénégal (au contraire de ce qu'indique la carte ci-dessus), reste localisée avec une distribution morcelée en relation étroite avec les reliefs (Fouta Djalon, par exemple). Plus petite et plus foncée que les autres, cette sous-espèce est encore peu connue - peut-être vue au Djoudj entre 1990 et 1992*2-3
  • la race falco peregrinus ssp. peregrinus est résidente d'une grande partie de l'Eurasie, de l'Irlande jusqu'aux confins sino-russes. Elle n'est migratrice que des franges nordiques de son aire de distribution, essentiellement du nord et du nord-est de la mer Baltique: nord de la Norvège, de la Suède, de la Finlande, Carélie, sud de la péninsule de Kola. Les sujets peregrinus que l'on peut observer la plupart du temps sur le littoral sénégalais (notamment dans la péninsule dakaroise et ses îles, Voir ICI sur Senegalwildlife) ainsi que dans le bas-delta du fleuve Sénégal (Voir ICI et ICI sur Ornithondar et photos ci-après et en haut de notule) sont de cette race-là.
  • la race falco peregrinus ssp. calidus est la plus septentrionale des sous-espèces de pèlerin: elle fréquente à la belle saison les régions les plus inhospitalières de la toundra eurasienne en périphérie de l'océan Arctique. Ces faucons sont strictement migrateurs et poussent leur voyage automnal très loin vers le sud: on peut fréquemment les observer, via la vallée du Nil puis à travers les pays du Rift, dans la partie orientale de l'Afrique, jusqu'au Cap de Bonne-Espérance ! En Afrique occidentale, les observations au Sénégal de cette espèce plus claire que les autres, au poitrail rosé pâle et au ventre blanchâtre faiblement moucheté, se font rares et majoritairement dans l'équivalent local de la toundra eurasienne: la steppe et ses bas-fonds temporaires du Sahel - plusieurs documentations proviennent par exemple du Djoudj et de ses environs (obs. Nik Borrow, Voir ICI sur African Bird Club).
*1 Si certains auteurs ont décidé de fusionner les deux taxons calidus et peregrinus en un seul, peregrinus, Ornithondar prend le parti de conserver la différenciation entre les deux races, constatant cependant que les sujets intermédiaires entre les deux taxons existent bel et bien
*2 Sources: 'An annotated check-list of birds occurring at the PNOD in Senegal, 1984-1994', par Rodwell, Sauvage, Rumsey & Bräunlich (Royaume Uni, France, Allemagne), in Malimbus
*Le minor observé cette année dans le sud marocain était peut-être un atlantis, (sous-)sous-espèce marocaine très voisine du minor subsaharien

Ci-dessous: 
 falco peregrinus ssp. peregrinus immature, plaine alluviale du fleuve Sénégal 
2013 02 17 / © Photos par Frédéric Bacuez


J'ai noté avec intérêt une certaine diversité de plumages et de teintes chez les faucons pèlerins qui hivernent dans le nord du Sénégal. Si les peregrinus-du-nord y restent les moins rares (cf. photos ci-dessus), et les calidus-pur-sang régulièrement notés des bordures sénégalo-mauritaniennes, la relative fréquence de sujets intermédiaires entre les deux sous-espèces y pose souvent de réelles difficultés d'identification: c'est bien le cas dans le bas-delta du fleuve Sénégal où la variété des sujets observée, outre celle des âges (1ère année, immature et subadulte - cf. photo ci-après), tend à indiquer que notre petite population hivernante est d'origine géographique 'frontalière', c'est à dire des zones de contact entre les peregrinus les plus septentrionaux et les calidus les moins arctiques: ces individus proviendraient donc, pour la plupart, du sud de la Laponie (Scandinavie), voire de l'extrême sud-est de la péninsule de Kola (Russie): ce serait alors le Cercle polaire arctique qui ferait grosso modo office de bascule !
Néanmoins, je reste sur le terrain le plus souvent insatisfait et assurément sans certitudes quant à l'observation de ces races de faucons pèlerins, comme l'écologue et ami Paul Robinson de BirdLife Dakar qui préfère rester "prudent" et se contenter d'annoter ses "observations au Sénégal" de la mention "peregrinus/calidus". Même les experts les plus habilités à répondre aux interrogations du birdwatcher de base que je suis bottent souvent en touche ! C'est le cas de Dick Forsman, sommité finlandaise et mondiale en matière de rapaces, qui commente ci-après quatre images (médiocres) de mon 'répertoire":


Ci-dessus: 
faucon pèlerin subadulte au-dessus de la plaine de Biffeche
2013 02 11 / © Photo par Frédéric Bacuez

" It is impossible to say anything definite about the subspecies of this Peregrine, but from the moult status it is clear that it comes from a far northern or arctic population. Thus, it is either a northern peregrinus, which the rather dark head and the heavy moustache-mark suggests, or it can be a darker than usual calidus. Birds like this, which share features from both peregrinus and calidus are breeding for instance in north Finland.
- Dick Forsman, commentant le 23 02 2013 mes photographies ci-contre

Ci-dessous:
 au-dessus de la plaine de Biffeche (plaine alluviale du fleuve Sénégal)  
Falco peregrinus subadulte: P. Calidus ? P.  Peregrinus ? Ou Calidus x Peregrinus ?
2013 02 11, 10h / © Photos par Frédéric Bacuez
- Cliquer sur les photos pour agrandir -

Nota: l'observation du faucon pèlerin eurasien au Sénégal ne sera possible que sur certains sites spécifiques, de novembre à avril. Le faible nombre de pèlerins du Paléarctique occidental migrant vers l'Afrique occidentale ne facilite pas non plus les rencontres - seulement quelques dizaines d'individus comptabilisés lors des passages postnuptiaux dans le détroit de Gibraltar... L'observation des faucons pèlerins dans les couloirs migratoires d'Afrique orientale et australe est autrement plus aisée, notamment celle de la race néo-arctique calidus. Cependant, l'augmentation des sujets notés au Sénégal prouve heureusement que les populations de peregrinus, calidus et intermédiaires sont en hausse dans leurs fiefs scandinaves et russes, lentement mais sûrement. Au Sénégal, si peregrinus a un faible pour les falaises (par exemple le cap de Naze, la péninsule du cap Vert et les îles de la Madeleine) et certains édifices urbains pratiqués comme des vires (hôtels des Almadies et de N'Gor à Dakar; antenne relais de la radio-télévision à la pointe nord de l'île de Saint-Louis; bâtiments universitaires de Sanar), calidus et les intermédiaires entre peregrinus et calidus marquent leur préférence pour les estuaires, les plaines alluviales - et rizicoles !- voire les mangroves (Lampsar, berges du fleuve Sénégal, systèmes lagunaires de Saint-Louis et du Gandiolais, steppes à bas-fonds humides du Djoudj et du Djeuss). On peut les y voir chasser les pigeons roussards (columba guinea), les tourterelles mais aussi les tisserins lors de leurs passées du matin et du soir. A vos jumelles ! Le spectacle d'un pèlerin haut dans le ciel contre le vent - il ne sait pas faire le saint-esprit-, scrutant la plaine et ses marigots avant de fondre à plus de 250 kilomètres/heure sur la nuée qui passe sous lui, ça vaut ses heures d'attente...

Ci-dessous: 
faucon pèlerin immature et martinets des maisons (apus affinis ssp. aerobates) dans le ciel du delta sénégalais 
 2013 02 17 / © Photo par Frédéric Bacuez

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