(re)confirmation: le barbican à poitrine rouge est bel et bien résident à Bango !

2012 11 29 aprem', Bango sur la berge sud du Lampsar: un barbican à poitrine rouge femelle territoriale s'en prend à... elle-même !
/ Photo par Frédéric Bacuez, droits réservés

* Bango. Berges du Lampsar -


Le barbican à poitrine rouge (lybius dubiusbearded barbet), un oiseau endémique de l'Afrique de l'ouest (du Sénégal à la Centrafrique) n'est signalé dans la moitié nord du Sénégal que par une seule mention non documentée, du bas-delta du fleuve. Officiellement donc cet oiseau de l'ordre des Piciformes et de la  famille des barbus africains (Lybiidés, barbets & tinkerbirds, au regard de leurs vibrisses, des plumeaux en forme de moustaches hérissées couvrant la base des mandibules et le dessous du menton) est absent au nord d'une transversale qui va des Niayes de Dakar, sur les rivages de l'océan Atlantique, à Kidira via Thiès, à la frontière malienne. Et pourtant...

Après quatre années in situ d'observations ininterrompues de l'espèce (2008-2012), Ornithondar est en mesure de confirmer avec certitude la présence à Bango (rive sud du Lampsar, dans le bas-delta du fleuve Sénégal) du barbican à poitrine rouge (lybius dubius, bearded barbet) en tant que nicheur résident*, rencontré toute l'année par moi-même et plusieurs autres témoins. Les observateurs y compris Ornithondar ont pu le noter en toutes saisons: ils ont pu l'entendre 'croasser' (écouter ci-après), pu  photographier et filmer plusieurs parades nuptiales successives de l'oiseau, son acharnement à défendre un territoire, l'occupation (ou la désertion) de cavités par plusieurs membres d'un même clan, ainsi que l'accompagnement d'adultes par un ou plusieurs juvéniles, immatures et assistants. De plus, il est probable que l'espèce n'est pas confinée aux seules berges sud du Lampsar et qu'elle existe ailleurs dans la région au nord du 14°30 parallèle, même à l'état de noyaux séparés de notre petite population bangotine. C'est ainsi que j'ai pu apercevoir un barbican à poitrine rouge dans les 'dunes mortes' du Ndiambour, à quelques kilomètres au nord-ouest de la ville de Louga, en vol dans un jardin ou un verger isolé et ceint par des murs de parpaings (Voir ICI sur Ornithondar). Question: ces oiseaux étaient-ils là lors du dernier cycle de sécheresses des années 70' à 90' du siècle passé ? Ou sont-ils, à la faveur de la dernière décennie globalement plus humide, en train de remonter vers le nord - qu'ils avaient abandonné, tout ou partie ? Cette hypothèse viendrait contredire le constat d'une (seule) poussée vers le sud pré-guinéen de l'aire de distribution de notre singulier lybius dubius (cf. ci-après)...



Ci-dessus: cris et chant de deux 'barbus' typiques de la savane arborée d'Afrique occidentale: 
lybius dubius (en haut) et pogoniulus chrysoconus (en bas), enregistrés dans la forêt classée 
(ex 'Bois de Boulogne') du Parc urbain Bangr-Weoogo de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso 
/ Courtesy Giovanni Boano (2012) et  Bram Piot (2011) pour Xeno-Canto

* On peut en dire autant du barbion à front jaune (pogoniulus chrysoconus ssp. chrysoconus, yellow-fronted tinkerbird), autrement moins visible bien que plus commun, dont l'aire de répartition dans notre région n'est pas du tout la même chez Borrow & Demey qu'à l'UICN: chez les premiers, ce chanteur inlassable et monotone bien connu des brousses africaines (écouter ci-dessus) est résident dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal, de la vallée morte du Ferlo vers le Djoudj, au nord-ouest, et vers Walaldé (Sénégal) et Boghé (Mauritanie), au nord-est; chez le deuxième, ce Lybiidé n'atteint le nord du pays par sa façade littorale, exclusivement dans le bas-delta, que dans le Gandiolais: cependant Ornithondar l'observe et surtout l'entend à Saint-Louis (Sor) ainsi qu'à Bango, fréquemment et toute l'année, en particulier de janvier à mai.

2012 12 8, impasse Gustave Pelloux, Bango. Barbican à poitrine rouge mâle faisant une offrande à sa partenaire
/ Photo par Frédéric Bacuez

oasis bangotine

La présence du barbican à poitrine rouge à Bango est explicable: si ce Lybiidé affectionne tout spécialement les vénérables figuiers - des fruits desquels il raffole !-, seuls quelques-uns de ces ficus survivent encore à proximité du village, notamment vers le Ranch de Bango. Notre oiseau fréquente avant tout un périmètre qui englobe la cocoteraie, les vergers avoisinants et les jardins privés de résidences bâties autour de vieux prosopis, entre le Lampsar d'eau douce et le pitoyable lac de Bango. Sur une faible superficie, on retrouve ici une strate arborée qui ressemble à ce que le barbican apprécie dans le sud, faite de grands arbres, essentiellement des cocotiers, des manguiers et ces prosopis aux troncs tout à fait adaptés aux oiseaux grimpeurs et cavernicoles comme lui. Entre la plaine alluviale à l'occident, dont les seuls arbres de taille, le long des digues, ont été abattus pour en faire du charbon, et la steppe à euphorbes ou frêles acacias à l'orient, Bango est comme une oasis qui accueille ainsi, outre trois espèces de 'barbus' (lybius vieilloti, lybius dubius, pogoniulus chrysoconus), d'autres oiseaux qui dépendent des arbres aux troncs vigoureux et aux branches étales: touracos gris (crinifer piscator), pics goertans (dendropicos goertae), perruches à collier (psittaccula krameri), choucadors à longue queue (lamprotornis caudatus), gonoleks de Barbarie (laniarius barbarus) et autres irrisors (phoeniculus purpureus et rhinopomastus aterrimus)...

Principaux sites d'observations récurrentes de lybius dubius à Bango
et périmètre arboré fréquenté, englobant la cocoteraie et les jardins privatifs de manguiers et prosopis
/ Carte Google Earth et Ornithondar

rituels fracassants


Au seuil de la saison sèche, nos barbicans à poitrine rouge sont immanquables à Bango si l'on habite autour de l'impasse Gustave Pelloux, dans le quartier toubab qui prolonge le village vers la piste du Ranch... D'octobre à début janvier - mais aussi en mai, allez-y comprendre quelque chose !, si la maison possède un étage et de larges fenêtres, ou quelque baie vitrée donnant sur le jardin, ses manguiers et ses prosopis, il y a de fortes chances que les oiseaux, par groupe(s) de deux ou trois complices, viennent se jeter bec en avant sur les vitres puis les tambouriner violemment, mandibules dentelées bien ouvertes (cf. photo en haut), lançant de curieux râles hostiles à d'improbables concurrents: leur reflet dans le miroir !... Dans la journée à intervalles réguliers, ils passent ainsi d'un jardin à l'autre, s'installant seul, à deux ou à trois comparses dans l'arbre le plus proche des fenêtres, tout excités, avant que de fondre l'un derrière l'autre comme des kamikazes sur l'importun miroir des barbus furibonds !



Ci-dessus: 2012 12 3, duo de lybius dubius vs les vitres du salon maure d'Ornithondar, impasse Gustave Pelloux, Bango
Voir aussi: ICI sur Youtube / Vidéos par Frédéric Bacuez
Ci-dessous: couple de lybius dubius à la fenêtre, impasse Gustave Pelloux, Bango 
/ Courtesy vidéo par Eddy Graëff et Saintlouisdusenegal.com/



En général, ce comportement agressif survient aux prémices de la saison nuptiale, lorsque les membres d'un même clan, très uni - ils dorment tous ensemble dans la même cavité qu'ils creusent eux-mêmes à l'aide de leurs impressionnants becs dentés !- est agité par l'approche annuelle des rites amoureux: et chaque année à pareille époque, le clan de l'impasse Pelloux se persuade qu'un autre clan a fait intrusion dans son domaine jalousement préservé... Il faut dire que d'autres espèces d'oiseaux ont exactement les mêmes réflexes en période nuptiale: chaque année à la même saison, un mâle de souimanga à longue queue (cinnyris pulchellus) venait ainsi s'insulter des heures durant dans les rétroviseurs de ma voiture, chez moi à Ouagadougou (Burkina Faso)...

Dès lors que débute la véritable ronde des séductions annuelles, les barbicans du quartier cessent leurs blitzkriegs fracassants sur les baies vitrées de leur territoire: seuls les immatures, en assistants assidus des précédents déchaînements, continuent de temps à autre, avec peu d'allant il est vrai, à venir tapoter à la fenêtre, histoire peut-être de ne pas perdre le style avant leur maturité...

Autant les charges territoriales sont violentes, autant les parades nuptiales ont quelque chose d'attendrissant: voyez monsieur sur le fil suspendu (cf. photos ci-après), essayant d'attirer le regard de la dame - un peu plus en chair que lui, qui feint l'indifférence mais montre bien les signes de son intérêt pour le bellâtre: plumes de la poitrine gonflées à bloc, petites irisations noires et rouges sur les flancs blancs, le maintien hautain... Le prétendant (ou le mari à nouveau stimulé...) tente tout ce qui lui est possible de faire pour impressionner la dulcinée, au premier chef la présentation puis l'offrande, si tout va pour le mieux dans le couple en (re)formation, de fruits dont les barbicans raffolent (figues, papayes, cerises africaines, etc.) ! Et si les deux partenaires se lissent le plumage mutuellement, c'est que le nid devrait être douillet et productif, avant la mousson et son explosion de fruits et d'insectes - ces derniers réservés à la progéniture d'un à deux poussins, nés ici probablement entre mai et début juillet...

Ci-dessous: lybius dubius à la fenêtre bangotine, impasse Gustave Pelloux, Bango: de g. à d., 2012 12 1; 2012 12 4; 2013 01 1 / Photos par Frédéric Bacuez



Ci-dessus: offrande (pré)nuptiale d'un barbican mâle (au milieu à d.) à 'sa' femelle, impasse Gustave Pelloux, Bango 2012 12 8 matin / Photos par Frédéric Bacuez

décrit par Buffon mais toujours mal connu

Comme le familier pic goertan (dendropicos goertae) le barbican à poitrine rouge est déjà décrit au XVIIIe siècle par le comte de Buffon (1707-1788). Dans sa monumentale Histoire naturelle (cf. gravure d'époque ci-après*1), l'encyclopédiste français nous signale déjà l'ignorance des Hommes quant aux mœurs de l'oiseau...

" Comme cet oiseau tient du barbu et du toucan, nous avons cru pouvoir le nommer barbican ; c'est une espèce nouvelle qui n'a été décrite par aucun Naturaliste, et qui néanmoins n'est pas d'un climat fort éloigné; car elle nous a été envoyée des cotes de Barbarie, mais sans nom et sans aucune notice sur ses habitudes naturelles (...) "*2

*2 Voir ICI sur buffon.cnrs.fr/
Voir aussi: http://www.oiseaux.net/oiseaux/barbican.a.poitrine.rouge.html

*1 Le barbican des cotes de Barbarie, vu par François-Nicolas Martinet (1731-v.1800)
pour Georges Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788),
 in  Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roy, Tome XXIIe (1770-1783)

On a peine à comprendre que cet oiseau chatoyant, à la morphologie et aux comportements exubérants, tout droit sorti d'un bestiaire forestier du Golfe de Guinée et du Bassin du Congo, ou de l'enfer vert guyanais, n'ait que peu intéressé mes contemporains naturalistes... On reste toujours sans réponse claire sur sa période de nidification, on sait peu de choses sur les parades nuptiales, sur le nid et sa couvée, et même sur la nourriture et le répertoire vocal de l'espèce. On n'est pas plus certain de comprendre le déplacement  progressif de l'aire originelle de l'espèce vers le sud - et dans ce cas, pourquoi l'oiseau persiste-t-il à se reproduire sur les berges bangotines du Lampsar, dans un environnement toujours plus déboisé, aux portes du désert ?

sensible au déboisement

Car le barbican à poitrine rouge, ça on le sait, est sensible au déboisement de son aire de répartition soudano-sahélienne. Au Sahel comme en savane, le couvert boisé se réduit comme peau de chagrin: les grands et larges arbres que l'espèce affectionne disparaissent ou deviennent de plus en plus épars, ou localisés, victimes des bûcherons-charbonniers, des feux de brousse, de l'expansion agricole, bref de la vraie 'désertification' du paysage africain qui est avant tout le fait de l'Homme et non pas d'une pseudo-avancée mécanique du Sahara vers le sud. Étrangement, tandis que le barbican à poitrine rouge colonise désormais les biotopes pré-guinéens du centre-nord de la Guinée et de la Côte d'Ivoire aux montagnes du Cameroun, son cousin le barbican bidenté (lybius bidentatus), à l'origine hôte des régions sudistes entre forêts et savanes boisées, occupe de plus en plus les territoires ainsi abandonnés par lybius dubius - même s'il ne s'est pas encore installé au Sénégal... pour le moment... Décidément, c'est à ne rien y comprendre, avec ce drôle d'oiseau !


Ci-dessus: aire de répartition "officielle" du barbican à poitrine rouge - avec descente visible vers le sud 'forestier' du Golfe de Guinée / Carte UICN
Ci-dessous: 2013 12 1 & 3, lybius dubius à la fenêtre du salon maure, maison d'Ornithondar, impasse Gustave Pelloux, Bango / Photos par Frédéric Bacuez

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