3, obs. rarissime ici: un Aigle fascié dans le ciel des Trois-Marigots ?

Ci-dessus: 
 entre le marigot de N'Guisset et le marigot de Ndiassew, un Aigle fascié immature dans le ciel des Trois-Marigots
2015 04 3 17h10 / © Photos par Frédéric Bacuez

* Aire communautaire patrimoniale des Trois-Marigots. Entre le 2e et le 3e marigot -

Fin d'APREM'-
Avec Alix & Daniel Mignot.

Au loin, un large rapace orangé - que j'ai d'abord pris pour une Buse féroce (buteo rufinus), bien que trop grande pour être de la race cirtensis du Maghreb- cercle en altitude à la verticale de la brousse sablonneuse, le bout des ailes relevé, avec dans l'attitude un quelque chose de la bondrée apivore ou du circaète. Comme il s'éloigne vers l'est, nous coupons à travers le bush - et tant pis pour les petits arbustes qui ploient sur le passage du véhicule, ils en voient d'autres et de plus impitoyables ! Sur le cordon dunaire qui sépare le marigot de Ndiassew de ce que nous avons coutume d'appeler le 'quatrième marigot', nous scrutons tous les horizons dans l'espoir de revoir notre grand rapace; en vain. Je prie pour que les photographies prises au jugé (cf. en haut de notule) servent plus tard à l'identification de l'oiseau mystère...

D'aquila fasciata à aquila spilogaster

J'ai de la chance: sur les images récoltées, on peut voir à la fois le dessus et le dessous des ailes du rapace (cf. photos en haut de notule) ! Mais oui, c'est peut-être un Aigle de Bonelli* (aquila fasciata, sic) voire un Aigle fascié (aquila spilogaster, re-sic), à l'évidence un jeune sujet au regard de ses couleurs latéritiques... L'analyse sera longue et méticuleuse pour définitivement choisir entre les deux espèces: j'ai bien ma petite idée mais je consulte aussi l'ami Lutz qui ne me renvoie à mes hésitations tropicalisées ! Il y a quelques années, Ornithondar avait documenté dans la dépression de Toddé, toujours sur la zone des Trois-Marigots, l'hivernage d'un aigle de Bonelli immature, parfaitement observé et photographié en train de chasser*. En novembre dernier, j'avais brièvement noté un aigle fascié tournoyant au-dessus des escarpements de Debre Libanos, en Ethiopie. Les deux Aquila font partie de la même super espèce bien que la plupart des ornithologues sont d'accord pour en faire deux taxons distincts, à cause de leurs particularismes physiologiques, même ténus, de leurs habitudes et de leur biotope. Voici donc pourquoi Ornithondar a choisi de faire de notre rapace immature un Aigle fascié de moins de trois ans:

  • La plage alaire (très) claire apparaît nettement en bout d'ailes traditionnellement plus sombres au-dessus que celles de l'Aigle de Bonelli - avec l'apparition d'un bord de fuite noir typique (qui n'est pas aussi évident chez son cousin mâle)
  • La barre sous-alaire est - à ce qu'on dit, même si cela n'est en rien systématique...- plus chaotique chez le fascié, fragmentée, interrompue, que chez le Bonelli - avec des zones blanchâtres aux primaires et, dans une moindre mesure, aux secondaires
  • C'est probablement un jeune mâle (de 2 ans ?) en mue: la queue est encore finement barrée et la terminaison noire est toujours en formation; le moucheté blanc qui essaime sur le manteau est typique de l'Aigle fascié mâle d'autant que ce pointillé est concentré exclusivement sur le dos, chez le mâle Bonelli 
  • L'aspect globalement roussâtre du corps et des couvertures est plus prononcé - et plus vif- que chez l'immature Bonelli
  • La queue paraît plus longue que celle de l'Aigle de Bonelli
  • Une envergure peut-être - peut-être !- moindre que celle d'un Aigle de Bonelli
  • Un bémol: le cou plus blanc chez l'immature Bonelli que chez le fascié; sans doute dû au fait que notre aigle redresse la tête pour scruter son domaine de chasse - le poitrail gonfle mécaniquement, éclaircissant du coup un plumage de toute façon moins roux ici que sur le reste du corps

* Lire: Un Aigle de Bonelli hiverne à Toddé, in Ornithondar 2011 10 30
Et Un Aigle de Bonelli par-dessus Mboubeune, in Ornithondar 2010 12 11

Un jeune erratique venu du Niokolo Koba ?

Huit des dix espèces d'aigles susceptibles d'être observées au Sénégal peuvent ou pourraient être notées du nord sahélien et de la vallée du fleuve: deux espèces sont des hivernants du Paléarctique (Aigle botté, Aigle de Bonelli); une autre est un migrateur afrotropical ou plutôt un erratique non reproducteur remontant du sud (Aigle de Wahlberg); enfin, trois espèces, les plus imposantes, sont des résidents africains (Aigle ravisseur, Aigle martial, Aigle fascié). De l'Aigle fascié qui nous intéresse ici, on ne sait plus trop, à la vérité, si l'espèce a jamais résidé et nidifié dans notre Sahel... Si Morel (cf. carte de distribution ci-dessous) mentionne laconiquement sa présence dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal et indique que l'aigle serait "vraisemblablement répandu sur tout le territoire", l'insuffisance d'observations récentes et la confusion avérée avec son cousin l'Aigle de Bonelli (dont on sait désormais qu'un tout petit effectif méditerranéen hiverne dans la même vallée frontalière du Sénégal et de la Mauritanie) ne facilitent pas les choses...

Dans les années '60 et '70, l'aigle fascié était plus fréquent qu'aujourd'hui...
In 'Les oiseaux de Sénégambie: notices et cartes de distribution', par Gérard J. & Marie-Yvonne Morel
Immatures d'Aigle fascié (à d.) et d'Aigle de Bonelli (à g.) / © Photo de droite par Johan Van Rensburg, DR


Ce qui est certain, en revanche, c'est la raréfaction dramatique de tous les grands rapaces afrotropicaux, non seulement dans la région qui nous intéresse sur ce blog, mais aussi dans toute la bande soudano-sahélienne qui traverse l'Afrique occidentale de la Mauritanie au Tchad. L'aigle ravisseur, si fréquent jusqu'au début des années '70 du siècle passé, n'a jamais recouvré ses effectifs d'antan; quant à l'aigle martial, notre plus grand aigle (jusqu'à 2m60 d'envergure !), il a peut-être déjà déserté la moitié nord du pays - nous l'avons aperçu au Djoudj, il y a quelques années. De même pour notre aigle fascié, jusqu'alors le moins rare des trois grands aigles dans la moitié sud du pays: a-t-il en fait disparu le premier des confins sénégalais-mauritaniens, bien avant les autres grands rapaces ? Notre observation du jour est probablement celle d'un sujet remonté des grandes brousses du Niokolo Koba et de ses zones cynégétiques adjacentes, à 800 kilomètres d'ici, en quête de nouveaux territoires et trouvant sous lui, avec les Trois-Marigots, l'un des ultimes domaines naturels d'ampleur en mesure d'accueillir un couple dans le Sahel sénégalais, un jour, inch'Allah... Comme on voudrait y croire...

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