5, dans le Gandiolais: un noyau isolé de 'singes verts'

* Gandiolais, entre Toug Peuhl et le Deegu Kakri -

APREM'-
Avec Alix & Daniel Mignot.

Jeu de cache cache avec une petite troupe de callitriches: les 'singes verts' (chlorocebus sabaeus) traversent la piste devant notre véhicule et s'égaillent à droite et à gauche dans la brousse... Les primates se réfugient dans les bosquets d'acacias protégés par d'infranchissables tapis de figuiers de Barbarie au centre desquels les buissons 'brosses à dent' (salvadora persica) peuvent servir d'ultime abri... Je contourne avec précaution le parterre dense dans lequel je suis persuadé que quelques singes se sont dissimulés à ma vue: il y en a un qui, resté dans un arbre pour nous surveiller, s'élance dans le vide les quatre membres ouverts comme le ferait un écureuil volant; j'ai mal pour lui, au vu du tapis de herses que forment les cactus-raquettes au sol - heureusement pour lui, je comprends qu'il y a, là-bas, sous le vol plané, une minuscule clairière qui a dû réceptionner l'acrobate... De l'autre coté de la piste, Alix et Daniel tentent de repérer les échappés, ils ne verront que deux patas 'singes rouges' (erythrocebus patas)... Immanquablement dès que nous remontons dans la voiture, une à deux petites faces noires émergent de la frondaison des arbres proches du chemin: les guetteurs vérifient notre départ pour se rassurer... et reprendre la collecte alimentaire du soir: des feuilles et des fruits, beaucoup de fruits... Quant à notre collecte photographique, à nous hominidés, ce sera chou blanc: seulement deux documents flous (cf. photos ci-dessous) - les diablotins ne nous ont guère facilité la tâche ! 


Ci-dessus: 2015 04 5 17h30 dans le Gandiolais: cache cache avec les callitriches 'singes verts' / © Photos par Frédéric Bacuez

Répandu en Afrique, en voie de disparition dans la vallée du fleuve Sénégal !

Largement répandu en Afrique subsaharienne, le callitriche* est un habitant des ripisylves: les arbres riverains, pas forcément de taille, doivent possèder de belles branches épaisses sur lesquels le singe grégaire pourra se réfugier ou passer la nuit. Je me souviens d'un de nos affûts burkinabè dans le parc national Kaboré Tambi, il y a une vingtaine d'années... Nous avions veillé toute la nuit adossés à de vénérables daniellia oliveri sans déceler leur présence (cf. photos ci-dessous à d.): aux première lueurs de l'aube, nous avions au-dessus de la tête près d'une centaine des petits diablotins, engourdis et encore silencieux, nous épiant d'en haut, incrédules... Commun et familier en Afrique orientale (cf. photo ci-dessous à g., chlorocebus pygeritrhus), mais aussi bien présent dans le biome soudano-guinéen d'Afrique occidentale, le 'singe vert' au contraire du 'singe rouge' rechigne à parcourir les vastes espaces sans couvert boisé. Il lui faut de la verdure et de l'eau; pas question de longues épopées à travers la brousse - encore moins les champs !- pour explorer de nouveaux territoires...

* Pour les différentes races du 'singe vert' en Afrique, lire ICI

Ci-dessus: à g., 'singe vert' vervet de la réserve nationale du Masaï Mara (Kenya), juin 1983 
-  au centre & à d., la nuit sous les daniellia oliveri du Nazinon, parc national Kaboré Tambi (Burkina Faso), 1994 03 28-29 
/ © Photos par Frédéric Bacuez

Dans le Sahel sénégalais, le callitriche était jadis partout représenté dans les forêts-galeries du fleuve Sénégal, probablement sur l'ensemble de la vallée, du bas-delta aux confins de la Falémé. Avec la disparition des ripisylves riveraines, concomitante des interminables sécheresses des années '70 et '80 du siècle passé et de la coupe impitoyable de tous les grands arbres, les espèces de mammifères arboricoles ont toutes disparu: il y a belle lurette qu'on ne voit plus de loir africain (graphiurus murinus) ni de galago dit du Sénégal (galago senegalensis)... Seules deux populations résiduelles de callitriches ont survécu jusqu'à nos jours, dont le glas sonnera vite si l'acharnement bûcheron qui reprend de plus belle et bientôt d'autres sécheresses n'en finissent pas avec les brèves illusions de renaissance des années '90-2000... 
  • Sur l'île à Morphil, de Podor à Galoya, les ultimes bandes de singes verts souffrent maintenant de la clarification en cours des gonakeraies jusqu'alors épargnées (Voir ICI), de l'accès facilité au territoire enclavé par l'érection d'un pont et de la mise en valeur agricole de cette partie du Walo. 
  • Au bout du bout du fleuve, une petite colonie fort discrète se maintient tant bien que mal dans le Gandiolais, ayant pris pour repaires la forêt qui couvre le versant occidental du grand cordon dunaire intérieur parallèle à la côte et, surtout, la mangrove à l'ouest de la réserve de Gueumbeul, face à l'embouchure wadienne...

La mangrove comme ultime refuge ?

Comme dans la forêt de Fathala (Sine Saloum)*, les callitriches ont ici la particularité d'occuper la mangrove de palétuviers qui s'étale entre Doune Baba Dieye et la route de Gueumbeul. Dans les années '70, Gérard et Anh Galat-Luong* avaient étudié cette adaptation à un milieu inhabituel pour les primates d'Afrique occidentale. Ils avaient évidemment noté que l'inextricabilité de ces forêts inondées formait un refuge très efficace contre la prédation - en l'occurrence des hyènes tachetées (crocuta crocuta)-, et de reposants dortoirs nocturnes. Ils découvraient encore que les palétuviers (avicennia et rizophora sp.) étaient eux-mêmes de précieuses sources d'alimentation: fruits, fleurs, feuilles, écorces, boutures, moelle des racines, tout est bon pour tuer les longues heures chaudes, jusqu'à la fraîche... Les vasières et tannes limitrophes servaient aussi d'un garde-manger jusqu'alors insoupçonné: on découvrait que les callitriches n'étaient pas que frugivores mais aussi zoophages; au menu désormais les crabes-violonistes (uca tangeri) qui pullulent sur l'estran proche de la mangrove ! En revanche ils faisaient la fine bouche devant les turritelles et autres périophtalmes. Les scientifiques de l'Institut de recherches français avaient étudié les déplacements quotidiens de nos petits singes et les corrélations qu'il pouvait y avoir avec les autres primates de la zone: si les callitriches passaient l'essentiel de leur journée chaude dans les profondeurs de la mangrove (80% du temps), les sorties sur la terre ferme (13% du temps) se faisaient généralement tôt le matin et en fin d'après-midi pour rechercher des sources de nourriture complémentaires - d'autres fruits-, et pour boire. Les crabes, c'est seulement pour le déjeuner, au frais ! A cette occasion, on notait que 27% de leur temps de promenade se faisaient en compagnie des patas (erythrocebus patas), probablement pour des raisons de sécurité, les 'singes rouges' étant bien plus coutumiers des grands espaces et des rencontres fortuites... On est en droit d'imaginer qu'ici, dans nos lointains septentrionaux, la population résiduelle de callitriches - quelques dizaines d'individus, pas plus, dans le Gandiolais - se comporte de la même manière que leurs parents sudistes... La preuve: ce soir, il y avait au moins deux patas avec la petite troupe en goguette !

in La Terre et la Vie, Revue d'écologie appliquée, Vol. 30 p. 3-30, par Gérard Galat & Anh Galat-Luong / IRD 1976

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