21, deux jeunes Anhingas roux dénichés du Gueyeloubé mauritanien

 Deux tout jeunes Anhingas d'Afrique récupérés auprès d'un pêcheur-pilleur de nids...
2015 10 21 matin / © Photo par Frédéric Bacuez

* Du marigot de Gueyeloubé (Mauritanie) à Bango (Sénégal)-

Lire aussi : 
Dénichage au Gueyeloubé, suite: pulli de grande aigrette, d'anhingas et de bihoreaux... pour la Tamkharit... et la ganja !in Ornithondar 2015 10 22

MATIN-
Hier soir, V. téléphone pour me signaler qu'un jeune homme lui vendrait bien deux gros 'poussins' qu'elle ne connaît pas et dont elle se dit qu'ils pourraient bien être des oiseaux rares... J'arrive dare dare au jardin de notre hivernante d'amie persuadé qu'il s'agit d'oisillons de tisserins, ou de tourterelles, voire de piafs plus colorés des vergers avoisinants, bref du menu fretin. Aïe ! le jeune homme, c'est A. S., presque encore un adolescent, le sourire et le regard enjôleurs, le style branché avec gourmette et un écouteur à l'oreille, le pantalon qui tombe sous les fesses, la cigarette à la commissure des lèvres ou négligemment pendue au bout des doigts. Je m'inquiète car connais sa dévorante passion pour le commerce des oiseaux -  son talent de 'pêcheur' de cormorans et de sternes lorsqu'il était plus jeune encore, chef braconnier d'une horde d'enfants hauts comme trois anacardes... Le garçon transporte un sac qui fut de riz au fond duquel s'agitent deux jeunes Anhingas roux d'Afrique (Anhinga rufa, African Darter), une espèce de cormorans strictement protégée qui a failli disparaître du bas-delta sénégalais.

Je le connais bien, notre A. : il est de la famille d'un écumeur du fleuve et des nids, M., un piroguier qui promène une rare clientèle dans le bas-delta et pratique toutes sortes de bizness entre les deux rives plutôt que de pêcher - ça eut payé mais ça ne paye plus ! Malgré une ou deux arrestations pour quelques broutilles, le vol d'un moteur à un collègue piroguier, et peut-être quelque haut fait de contrebande prise en flagrant délit par la douane, M. est persévérant, indifférent aux vicissitudes, avec le sourire et le professionnalisme du gars qui connaît le fleuve comme sa poche et sait séduire ses jeunes apprentis à la manoeuvre... A. doit être son neveu, en tout cas il est régulièrement de toutes les virées du brave M., diurnes comme nocturnes, surtout noctambules. Comme beaucoup de bangotins, M. a de la famille de part et d'autre de la frontière aquatique, en Mauritanie comme au Sénégal, et il ne s'embarrasse pas de précautions particulières, ni de formalités administratives pour aller et venir d'un village riverain à l'autre. Le plus souvent au fond de la pirogue avec de l'huile ou du sucre de Mauritanie, moins chers, vers le Sénégal ; et parfois, toujours de la Mauritanie vers le Sénégal, en fin de saison des pluies avec des oiseaux dénichés dans les vénérables palétuviers qui peuvent encore accueillir de résiduelles colonies d'aigrettes (Egretta sp.), de Bihoreaux gris (Nycticorax nycticorax) et de Cormorans africains (Microcarbo africanus) mais aussi quelques couples d'Ibis sacrés (Threskiornis aethiopicus) et donc d'Anhingas roux (Anhinga rufa).










Nota 1 : cela fait au moins trente ans que les héronnières et autres nichoirs d'oiseaux ont été vidés de leurs occupants, côté sénégalais du fleuve frontalier. Depuis l'embouchure jusqu'à l'île à Morphil et Matam, la grande sécheresse des années '70-90 puis l'abattage frénétique des ripisylves à gonakiers avaient déjà réduit à leur plus simple expression les petites colonies reproductives de hérons, cigognes et cormorans de cette malheureuse rive du fleuve. Le dénichage quasi systématique des oisillons par nos rugueux pêcheurs, une plaie dévastatrice pour 'leur' environnement, avaient fait le reste. Seuls les parcs nationaux de la Langue de Barbarie - quelques couples- et du Djoudj, essentiellement sur le Canal du Crocodile, ont évité l'anéantissement in extremis de certaines espèces du delta mais pas la disparition du Héron goliath (Ardea goliath), du Jabiru (Ephippiorhynchus senegalensis) et du Marabout d'Afrique (Leptoptilos crumenifer), victimes à la fois de l'aridification climatique, des perpétuels dérangements et des premières reconfigurations écocidaires de la vallée du fleuve Sénégal - ce n'était pourtant que le début ! Si les effectifs du Tantale ibis (Mycteria ibis), de l'Ibis sacré (Threskiornis aethiopicus) et de l'Ibis falcinelle (Plegadis falcinellus), ou du Pélican gris (Pelecanus rufescens), tous reproducteurs coloniaux et arboricoles, ont même tendance à remonter, quasi exclusivement dans le périmètre du Djoudj et son voisinage du canal du Crocodile, le trompe-l'oeil sénégalais doit beaucoup à la Mauritanie voisine, un pays pourtant bien connu pour son enthousiasme chasseur...
Dans les années '90 du siècle passé il avait fallu que la partie mauritanienne tape du poing sur la table coopérative pour que l'Office de Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS, Mali-Sénégal-Mauritanie), largement phagocyté par la partie sénégalaise, daigne lâcher les eaux (de crue saisonnière) aussi vers le bas-delta du voisin nordique. La mise en place du parc national du Diawling, pendant mauritanien (PND, rive droite) du parc national du Djoudj (PNOD, rive gauche), mais aussi une meilleure sensibilisation des populations "à la base" ont permis aux oiseaux d'adopter les biotopes de la berge... d'en face. Cela saute vite aux yeux quand on remonte les 26 kilomètres du fleuve de Bango au barrage de Diama* : la mangrove et le lagon de Diawas, le marais et la plaine alluvionnaire du Barhoum, la lagune-reposoir de Biret, les bolongs du Tialakht et du Gueyeloubé sont des sites autrement mieux fréquentés par la gent ailée que leurs vis-à-vis sénégalais, plus chiches, trop dérangés, trop fréquentés, trop braconnés, et de plus en plus grignotés par des aménagements obtusément dompteurs des eaux deltaïques au seul profit du riz, cocorico et confrérique !

* Lire :
Fleuve Sénégal: Bango-barrage de Diama aller retour, in Ornithondar 2011 12 30
Un air de Rhône hivernal sur le fleuve Sénégal... dans la pluie, les vagues et les embruns !, in Ornithondar 2013 12 18 [cf. photos ci-dessous]


Ci-dessus et dessous : 
le bosquet de palétuviers à la confluence du Sénégal et du Gueyeloubé, 
dortoir hivernal d'Ardéidés et de Bihoreaux gris 
2013 12 18 / © Photos par Frédéric Bacuez


Nota 2 : nos jeunes Anhingas roux d'Afrique (Anhinga rufa) dénichés ont été 'prélevés' sur un bloc de palétuviers qui fait office d'unique relief à la confluence du Gueyeloubé et du Sénégal (cf. photos ci-dessus). En hiver, le massif inextricable est le reposoir de dizaines d'Ardéidés (Aigrettes garzettes, Grandes aigrettes d'Afrique, Aigrettes intermédiaires) et le dortoir d'un grand nombre de Bihoreaux gris (Nycticorax n. nycticorax). Durant la saison pluvieuse, quelques espèces afrotropicales nidifient encore dans le bosquet : outre des aigrettes sus-citées, encore des bihoreaux locaux, les Cormorans africains (Microcarbo africanus), mais aussi des Ibis sacrés (Threskiornis aethiopicus) et des anhingas, deux espèces qui ont beaucoup souffert des aléas climatiques et des ravages humains au tournant des deux siècles. Ce site est le seul nichoir (hors sanctuaire classé) qui perdure le long du fleuve Sénégal à l'aval du barrage de Diama. Peu ou jamais de patrouille forestière pour sécuriser le site, même pas durant la saison de nidification. Les braconniers viennent majoritairement de la rive sénégalaise, nuitamment. L'offre rencontrant aisément une demande en expansion, il est probable que le nichoir précaire ne sera bientôt plus, au mieux qu'un dortoir nocturne, au pire un reposoir diurne. Car on en apprend de bien inquiétantes, quand on sonde l'ingénu braconnier analphabète : tout le monde veut sa chose à plumes, à écailles ou à carapace, à domicile, pour telle fête, pour tel anniversaire, pour décorer ! Aaaaaah la toute-puissance des classes moyennes émergentes, les Blancs comme les Noirs y compris les 'structures' de prestige, possessives et destructrices...

L'Anhinga roux* dans le bas-delta sénégalais : pour un peu à la trappe !

Des trois espèces de cormorans présentes au Sénégal (Phalacrocorax carbo lucidus, Microcarbo africanus, Anhinga rufa), l'Anhinga roux d'Afrique est la plus rare, ici dans le bas-delta sénégalo-mauritanien. On l'appelle aussi 'oiseau-serpent' à cause de sa façon de nager immergé, le cou sortant de l'eau comme un périscope, ondulant pour faire avancer le corps comme un sous-marin. Il s'en est fallu de peu pour que l'Anhinga roux disparaisse de son enclave septentrionale - de l'embouchure au lac de Guiers. Le redoutable pêcheur a souffert des profonds bouleversements hydrauliques du bas-delta, dans les années '70-90. L'érection du calamiteux barrage de Diama a empêché toute remontée saline du fleuve, ce qui a fait exploser la végétation palustre à l'amont de l'ouvrage. Si l'Anhinga roux a une préférence pour les eaux douces, même s'il ne rechigne pas à fréquenter et même nicher en milieu saumâtre ou estuarien, il lui faut en revanche des étendues riches de poissons, et surtout libres des roseaux et des herbes coloniales qui ont envahi la majeure partie de son habitat traditionnel. La remise en eau de la partie mauritanienne du bas-delta et les quelques travaux de faucardage du côté sénégalais ont permis à une population relictuelle de se reconstituer à partir de ses effectifs du lac de Guiers, en particulier sur le périmètre du Djoudj, sur la mare de Ross-Béthio et, dans une moindre mesure, sur quelques sites des Trois-Marigots et du N'Galam. Les reproducteurs occupent indifféremment des Tamarix senegalensis et des palétuviers, généralement les pieds dans l'eau. Une petite colonie a même réussi à s'installer dans les limites du parc national de la Langue de Barbarie (PNLB). Les anhingas du Gueyeloubé sont des sujets qui tentent de trouver de nouveaux nichoirs et territoires - qui ne sont pas légion, hélas.

http://www.oiseaux.net/oiseaux/anhinga d'Afrique
Lire aussi mes deux notules les plus récentes :
Soixante anhingas à la mare de Ross-Bethio, in Ornithondar 2015 05 11
Rare, un nichoir d'anhingas (bien) trop visible, in Ornithondar 2015 04 25

Anhinga d'Afrique et sa proie, marigot de Djoudj (PNOD)
2011 01 / © Photo par John Wright pour Wrightswanderings et Ornithondar

Deux oisillons - protégés par la Loi- à... 2 euros !

Nous avons longuement hésité avant d'adopter les deux Anhingas roux juvéniles, promis à un funeste sort si nous ne faisions rien : attachés au bout d'une ficelle dans un coin poussiéreux d'une cour, jouets vivants pour les enfants, inéluctable volaille du vendredi. Nous tombons des nues quand le jeune homme nous annonce le prix des deux volatiles : la paire à 1 500 francs cfa - soit 2,29 euros ! A. voudrait l'argent ici et maintenant, pour aller s'amuser en ville, ce soir. Que faire ? On décide de donner sa chance au joli duo duveté, une femelle très vivace et un mâle moins vigoureux. Et va pour notre obole au développement personnalisé, à la grande culture ndar ndar - ses valeurs et tout et tout ! Bonne fête !

Ci-dessous : 
une paire juvénile d'Anhingas d'Afrique sauvée d'un funeste destin
- la fille est plus grosse, enhardie et déjà débrouillarde ; le garçon, geignard et encore passif, a un trait noir derrière l'oeil -
2015 10 21 à Bango  / © Photos par Frédéric Bacuez


Aménagement d'une aire paillée, avec tiges de roseaux et quelques branchages. Clôture pour décourager l'intrusion de la genette ou de la civette noctambules. Et première séance de becquée, par T., qui s'y connaît : si la fillette saisit très rapidement les morceaux de carpes découpées in vivo, le garçonnet doit être contraint pour ingurgiter la ration. Après le repas, les oiseaux s'endorment rapidement, le cou ramené sur le dos, entre les ailes. Au réveil, les quelques poissons lâchés dans le bassin qui jouxte la couche feront vite les frais de l'appétit et de la dextérité précoce des harponneurs - eurêka ! Nos protégés auraient-ils une chance de s'en sortir ? V. et T. n'en sont pas à leur premier sauvetage : dans ce refuge inespéré, d'autres captifs libérés, Grande aigrette d'Afrique et Ibis sacré*, ont survécu et pris les airs au bout de quelques mois ; un Goéland d'Audouin (Larus audouinii) avait en revanche succombé aux attaques d'une meute de canards domestiques aussi impitoyables que les Hommes leurs maîtres... De toute façon, dans leur malheur nos deux anhingas ne pouvaient pas mieux tomber : le jardin de V. est un petit paradis naturel,  une arche de Noé... La preuve, une mère de Hérisson à ventre blanc (Atelerix albiventris) n'a pas trouvé mieux que d'y allaiter ses quatre petits, sous un mortier percé et retourné, à portée de mains.

Lire 
Des nouvelles des ibis sacrés captifs, in Ornithondar 2011 03 25
De 3 ibis sacrés captifs à Bango, in Ornithondar 2010 12 16

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