10, première documentation d'un Grand Indicateur dans le bas-delta du Sénégal

Grand Indicateur juvénile à l'abreuvoir, Bango, bas-delta du Sénégal près de Saint-Louis
2015 12 10, 12h10 / © Photo par Frédéric Bacuez

* Bango. Cocoteraie-mangueraie près du 'lac'-

MIDI-
Dans le jardin de Véronique, sous le tamarinier (Tamarindus indica) on papote on papote, autour du café chaud et dans les douces températures du moment... mais on ne perd pas des yeux les oiseaux qui viennent boire à la rigole... Les bulbuls (Pycnonotus barbatus) et les tisserins (Ploceus malanocephalus) prennent leur bain en groupe, bientôt rejoints à l'abreuvoir par deux Coucals du Sénégal (Centropus senegalensis) et autant de Touracos gris (Crinifer piscator). Au-dessus du ruisseau qui serpente vers le chott bangotin, un duo de Combassous du Sénégal (Vidua chalybeata), dont un mâle en fin de mue postnuptiale (cf. photos ci-après). Chez moi, celui qui vient à la fenêtre du salon est toujours anthracite et gorgé de testostérone, pas encore las d'insulter son reflet dans les vitres !

Soudain tel un gobemouche un oiseau de la taille d'un bulbul (18-20 cm) descend et remonte aussi vite dans les branches basses des arbres limitrophes du terrain. Mais oui, avec sa queue, assez longue, blanche avec son 'T' inversé encore plus éclatante que celle d'un traquet : ne serait-ce pas un indicateur, indissociable patrimoine - on comprendra pourquoi ci-après- des grandes savanes de mes années soudaniennes ? La chienne qui prend le frais près de la rigole se lève et s'éloigne ; mon oiseau redescend de son perchoir, pour s'abreuver : oui ! il s'agit bien d'un Indicatoridé, précisément le Grand Indicateur (Indicator indicator), un jeune oiseau de surcroît (cf. photo en haut de notule et ci-dessous) ! Après avoir déjà contacté l'espèce sur la piste-digue de Bango en février 2010, sans autre preuve que mes yeux, voici par la photographie la première documentation d'un Grand Indicateur dans le bas-delta du fleuve Sénégal, sans doute la troisième mention (à cette date car je le reverrai bientôt, l'oiseau des chasseurs de miel !) à l'aval de Richard-Toll.

Troisième mention dont deux par l'Ornithondar, 
mais surtout première documentation !

A l'exception d'une mention non datée, et a priori non documentée, en provenance du parc national du Djoudj (PNOD) ou de ses environs*1, plus mon autre rencontre bangotine mais fortuite de février 2010, cette observation d'un Grand Indicateur est à ce jour la seule du bas-delta sénégalais. Dans les années 60-80 de l'autre siècle, Gérard Morel signalait que "les observations [sont] insuffisantes au nord où il est peut-être d'ailleurs rare."*2 Les cartes de distribution de notre oiseau restent aujourd'hui incertaines, parcellaires voire contradictoires : si Morel le signale à l'est de Dagana, de la moyenne et de la haute vallée du Sénégal où il n'est peut-être en définitive que saisonnier, il constate comme tous ses successeurs que Indicator indicator ne devient répandu qu'au sud du 15e parallèle (y compris la péninsule du Cap vert). En revanche, les cartes de répartition récentes ne correspondent plus avec celles du même Morel et de sa station ornithologique de Richard Toll (IRD ex ORSTOM). Pour BirdLife et l'UICN, si le grand indicateur garde ses quartiers au sud du 15e-nord, il remonte par la Grande Côte et le Djolof jusqu'aux confins mauritaniens de l'Aftout es saheli, pour sa limite septentrionale, et en effet jusqu'au seuil de Dagana et les marges occidentales du Ferlo, à l'orient du lac de Guier. Dans cette configuration, notre oiseau serait alors absent du reste de la vallée du fleuve jusqu'à la haute Falémé - n'en déplaise aux Morel ! Ces variations spatiales ne changent pas grand chose à mon observation: ou nos cartomanciens, pardon cartographes, se trompent, ou alors mon indicateur est si rare dans les plaines et les dunes arborées du grand littoral que nul ne l'y a vu avant moi, et encore moins entendu - ce qui est, là, bien étrange, forcément bizarre car plus que pour tout autre oiseau le chant est une caractéristique fondamentale et connue dans l'éthologie de notre singulier et mystérieux 'indicateur' (cf. chapitre suivant)...

Additif : revu l'oiseau dans le tamarinier du même jardin, le 2015 12 17 matin... L'indicateur semblait avoir en partie perdu de sa couleur jaune crème typique d'un juvénile...

*1 une 'indication' in Birds of Senegal and the Gambia, par Nik Borrow & Ron Demey
*2 in Les oiseaux de Sénégambie, notices et cartes de distribution

Grand indicateur juvénile à l'abreuvoir, à Bango, près de Saint-Louis-du-Sénégal
2015 12 10 midi / © Photo par Frédéric Bacuez

Petit oiseau mythique des savanes africaines

A l'instar des trois espèces d'indicatoridés recensées au Sénégal (Indicator minor et Indicator maculatus - Petite Côte, Casamance et sud-est), le Grand Indicateur (Indicator indicator, Greater Honeyguide) est à bien des égards un curieux oiseau, dans son genre unique au monde:
  • Parasite de couvée, comme les coucous et combassous, il dépose son oeuf au milieu de la ponte choisie en prenant soin que pour chaque oeuf clandestinement introduit un oeuf 'originel' soit ôté du nid ! Les espèces parasitées sont surtout les guêpiers, les martin-pêcheurs et martin-chasseurs. 
Indicator indicator Greater honeyguidein Animal Diversity Web (ADW), University of Michigan, Museum of zoology (USA)
  • A peine né, chaque poussin de l'indicateur va impitoyablement détruire ses petits frères et soeurs qui ne sont pas de son espèce : la méthode est violente, sanglante, à l'aveugle: à l'aide de deux petits crochets comme de mini-diamants disposés de part et d'autre de son bec, tout juste sous les narines, exceptionnellement hautes chez cette espèce, le poussin indicateur assène de fatals coups de ses crochets jusqu'à ce que mort s'ensuive - avant défenestration.
Honeyguide chicks stab their foster siblings to death with hooked bills, par Ed Yong in Discover, Science for the curious, 2011 09 6
  • Il est intimement lié aux abeilles sauvages dont il se nourrit des larves. Fait unique au monde, l'indicateur se délecte aussi de la cire des ruches en s'appuyant sur l'aide providentielle ou délibérée d'autres mammifères, tout spécialement l'Homme ! Pour digérer cette cire indigeste, l'indicateur "possède dans son estomac une bactérie, Micrococcus cerolyticus, qui transforme le produit en acides gras assimilables".
Honeyguides and honey gatherers: interspecific communication in a symbiotic relationship, par Isack HA & Reyer HU in Science n° 243, 1989 03
  • Adepte du "mutualisme", il "indique" aux chasseurs de miel, à l'aide de chants et de vols spécifiques, variables en fonction de la distance de la ruche ciblée, le chemin à suivre pour la débusquer. Quand l'Homme quitte le site avec le miel de la ruche, l'indicateur se gave des larves et de la cire dégagés par les mains de son complice bipède... Longtemps considérée comme un mythe africain parmi tant d'autres, cette association n'a été confirmée et étudiée qu'au début des années 80 du siècle passé, chez les nomades Borans de la région de Sololo (nord Kenya), par Hussein Isack (Muséums nationaux du Kenya) et Heinz-Ulrich Reyer (Institut de zoologie de l'université de Zurich).
Echanges mielleux et intéressés, par Stéphane Deligeorges in La Recherche, l'actualité des sciences, n°353, mai 2002
  • Autre mythe, jamais prouvé et sans doute erroné, l'association de l'indicateur avec le Ratel (Mellivora capensis), une sorte de blaireau africain également présent au Sénégal bien que devenu rarissime (signalé du Djoudj) en dehors du Niokolo Koba et de la Falémé. Ce puissant terrassier omnivore raffole de miel et dans sa quête permanente de nourriture déterre souvent des ruches sauvages pour se gaver du nectar. Son épaisse fourrure et la puissance de ses griffes lui permettent de résister aux assauts des abeilles. Il est probable que les indicateurs du voisinage profitent à leur tour de l'aubaine après le départ du ratel. En rien nos chanteurs ne vont chercher le blaireau pour lui 'indiquer' le chemin... D'autant que notre quadrupède dur-à-cuire, réputé peu commode (à la différence de son cousin européen) est plutôt du genre noctambule, surtout là où il est persécuté.
Lies, damned lies, and honey badgers, par Ed Yong in i09.com, we come from the future, 2011 09 25


" If you should be in the wild bush lands (...) on the continent of Africa, 
and you should hear a call - 'Weet-err, weet-err !'
be joyous:
shout "kumbe !" to the heavens. 
For you have the good fortune to meet a honey guide.
You are a lucky person indeed. "

- April Pulley Sayre,
  in 'If you should hear a honey guide', 
Houghton Mifflin Company, Boston-New York (USA), 1995
- voir aussi des images ci-après-



Vu :
  • Touraco gris (crinifer piscator, western grey plantain-eater), 2 ind. à l'abreuvoir (cf. photo en bas de notule à d.)
  • Coucal du Sénégal (centropus senegalensis, Senegal coucal), 2 ind. au bain et à l'abreuvoir - dont un sujet immature/subadulte (cf. photo en bas de notule à g.)
  • Tourterelle maillée (streptopelia s. senegalensis, laughing dove), dont 2 tourtereaux dans la ruelle, sur un terrain vague, découverts avant-hier au sol et remis dans un arbuste, sous le nid duquel ils étaient tombés...
  • Tourterelle pleureuse du Niger (streptopelia decipiens, african mourning dove)
  • Barbican de Vieillot (lybius vieilloti ssp. rubescensViellot's barbet), 2 ind. essayant d'ouvrir des gousses de tamarin
  • Grand Indicateur (indicator indicator, greater honeyguide), 1 ind. juvénile à l'abreuvoir (cf. photos ci-dessus et en haut de notule)
  • Bulbul des jardins de Haute-Guinée (pycnonotus barbatus ssp. inornatus, common bulbul) (cf. photo ci-dessous à d.)
  • Souïmanga à longue queue (cinnyris pulchellus, beautiful sunbird)
  • Gonolek de Barbarie (laniarius barbarusyellow-crowned gonolek), 1 ind.
  • Moineau domestique indien (passer domesticus ssp. indicus, house sparrow)
  • Tisserin à tête noire (ploceus m. melanocephalusblack-headed weaver)
  • Amarante du Sénégal (lagonosticta senegala, red-billed firefinch)
  • Combassou du Sénégal (vidua chalybeata, village indigobird), 2 ind. - dont femelle et mâle en fin de mue postnuptiale (cf. photo ci-dessous à g.)
Entendu :
Barbion à front jaune (pogoniulus chrysoconus, yellow-fronted tinkerbird), 1 ind. /

Ci-dessous, de haut en bas et de g. à d. :
Combassou du Sénégal, mâle en mue postnuptiale - Bulbul des jardins
Coucal du Sénégal - Touraco gris à la rigole
2015 12 10 midi / © Photos par Frédéric Bacuez




AUTRES :
  • Papillon de Vinson (Voilier des citronniers, papilio d. demodocuscitrus swallowtailcitrus butterflyorange dogChristmas butterfly), 1+ ind.
  • Petit monarque d'Afrique (danaus c. chrysippuscommon plain tigerlesser wandererqueen butterfly, 'african queen'), 1 ind. en vol
  • Mylothris chloris (common western dotted border), 1 ind. se délectant des sels minéraux sur le sol humide [près de la rigole]

* Lac/chott de Bango -
  • Milan d'Afrique à bec jaune (milvus parasitusyellow-billed kite)
  • Échasse blanche (himantopus himantopusblack-winged stilt)
  • Vanneau à éperons (vanellus spinosusspur-winged lapwing)
  • Combattant varié (philomachus pugnaxruff)
  • Bécasseau minute (calidris minuta, little stint)

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